En quelques jours, la France s'était embrasée. Des dockers de Marseille aux sidérurgistes
lorrains ou aux pêcheurs bretons, toute la classe ouvrière s'était soulevée face à un gouvernement qui avait beaucoup demandé pour l'effort
de reconstruction d'après-guerre, mais refusait de donner en échange.
Dans les houillères du Nord-Pas-de-Calais, les mineurs s'étaient particulièrement investis dans cet effort de reconstruction, comme
leur avait demandé Maurice Thorez, ancien mineur devenu ministre.
La répression sera violente (le gouvernement et la presse de l'époque parlaient de grève insurrectionnelle). Jules Moch, ministre socialiste de l'Intérieur, envoie
les CRS et les blindés pour casser les piquets de grève. Il y a des milliers de blessés, des dizaines de morts, plusieurs centaines de mineurs seront emprisonnés et surtout, trois mille d'entre eux sont licenciés.
Témoignage d'un mineur licencié :
Ils sont venus à la maison, on a eu deux jours pour déguerpir, avec femme et enfants.
Mon épouse était enceinte. C'était une répression sauvage, injuste. Le droit de grève était
inscrit dans la Constitution. Les mineurs licenciés ont donc perdu leur travail, le logement
qui allait avec, le chauffage. Et puis, quand on retrouvait un travail, quelqu'un des houillères
passait voir le patron et on était de nouveau licencié. Il y a pire, nous étions considérés comme
de mauvais mineurs et ne pas être dignes des Houillères. A l'époque, dans les mines, c'était la honte !
Les anciens mineurs des Houillères du Nord-Pas-de-Calais, qui demandaient réparation pour
leurs licenciements à la suite de grèves durement réprimées en 1948 et 1952, ont été déboutés vendredi par les prud'hommes de Nanterre, leur
action étant jugée "prescrite". Dans cette affaire atypique, les anciens mineurs demandaient à la justice de reconnaître le caractère
discriminatoire des sanctions, car à l'époque le droit de grève était déjà inscrit dans la constitution.
Mais soixante ans après les faits, et malgré une intervention de la Halde (Haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l'égalité) en
leur faveur, le conseil des prud'hommes de Nanterre s'en est tenu à une application stricte de la loi et a débouté les 17 demandeurs, dont
certains, décédés, étaient représentés par leur famille.
Chaque requérant réclamait 60.000 euros de dommages et intérêts aux Charbonnages de France, l'ancien employeur, et à l'Agence nationale pour la
garantie des droits des mineurs (ANGDM), l'établissement public créé en 2004 pour prendre en charge leurs droits sociaux.
L'affaire remonte à l'automne 1948, lorsqu'une grève, lancée par la CGT pour protester contre la perte de plusieurs avantages, va, pendant
deux mois, faire l'objet d'une répression massive, le gouvernement d'Henri Queuille y voyant un mouvement insurrectionnel dans le climat
tendu de la guerre froide.
Au-delà des interventions de l'armée et des CRS, autorisés à tirer sur les grévistes, quelque 3.000 licenciements
sont prononcés. Conséquence immédiate pour les ouvriers: la privation de leurs indemnités de logement et de chauffage prévues par leur statut.
Les mineurs et leurs familles, dont certains furent mis à la porte après un autre mouvement, en 1952, ont dû attendre 1981 pour qu'une loi d'amnistie
couvre les faits.
Par la suite, la loi de finances de 2005 a bien prévu une indemnisation pour les prestations de chauffage et de logement, mais pas pour les salaires
non versés à la suite des licenciements.Les anciens grévistes se tournent alors vers la Halde, mais celle-ci échoue à trouver un terrain d'entente
avec les Charbonnages de France. Lors des audiences aux prud'hommes, l'avocat de la Halde, Me Stéphane Levildier, avait jugé la discrimination "à l'évidence
incontestable", car "aucun fait autre que les faits de grève ne (pouvaient) être reprochés" aux mineurs.
Dans son jugement, le conseil des prud'hommes a invité "les parties à poursuivre et reprendre leur démarche tendant à une
médiation et une solution apaisée".
"Ils se bagarrent depuis 1948, donc au final on peut dire que c'est une étape dans un processus de bagarre", a réagi après la lecture du
jugement l'une des avocates des demandeurs, Me Savine Bernard.
Pour nous, le jugement reconnaît qu'il y a eu une discrimination mais que c'est prescrit et que juridiquement les anciens mineurs ne pouvaient
pas agir, a-t-elle ajouté.
Extrait La voix du nord janvier 2008
La ministre de la Justice, Christiane Taubira, a demandé à Bercy d’indemniser des mineurs grévistes du grand mouvement de l’automne 1948 ainsi que leurs
ayants droit, a annoncé ce vendredi la Chancellerie.
A l’automne 1948, plusieurs milliers de mineurs des sites du Nord-Pas-de-Calais avaient cessé le travail pour protester contre des décrets qui prévoyaient
notamment la baisse de leur rémunération. Au terme de près de deux mois de grève, marqués par de très violents heurts avec les forces de l’ordre, près de
3 000 mineurs avaient été licenciés. Plusieurs centaines d’entre eux avaient été poursuivis en justice et condamnés, certains à des peines de prison ferme.
En 1981, une loi d’amnistie avait été votée permettant aux travailleurs licenciés pour des faits de grève et action syndicale d’obtenir réparation.
« Alors que prend forme le projet de loi de finances 2015, Christiane Taubira souhaite que celui-ci puisse comporter une mesure permettant d’indemniser
pleinement les mineurs, dits les grévistes de 1948 et leurs ayants droit », déclare son ministère dans un communiqué.
Une grève chèrement payée.
« Parmi les 3 000 grévistes, 200 d’entre eux ont subi des atteintes à leurs droits fondamentaux » de la part des autorités, rappelle la garde des Sceaux dans
un courrier adressé en mai au ministre des Finances Michel Sapin. « Injustement condamnés, les mineurs (...) n’ont été que partiellement indemnisés pour les
dommages subis (licenciement abusif, expulsion du logement, discrimination à la réembauche...) par la loi de finance de 2004 », estime Mme Taubira.
Quelque 31 mineurs et ayants droit pourraient bénéficier de cette mesure d’indemnisation, selon la Chancellerie. « Je pense qu’il serait à l’honneur de notre
gouvernement de donner enfin satisfaction à des personnes qui ont conduit un combat politique de plus de soixante ans et ainsi de mettre fin à une injustice
jamais réparée auparavant », a fait valoir la ministre.
Un dossier qui traîne depuis plus de trente ans.
En mars 2011, la cour d’appel de Versailles avait reconnu le caractère discriminatoire et abusif du licenciement de 17 mineurs et employés de la société
publique qui gérait les sites, Charbonnages de France, et annulé ces licenciements. Elle avait condamné Charbonnages de France et l’Agence nationale pour
la garantie des droits des mineurs (ANGDM) à leur verser 30.000 euros chacun. Mais la décision avait été cassée par la Cour de cassation, en octobre 2012.
Voix du nord 11 juillet 2014
Christiane Taubira proposera un amendement au projet de loi de finances pour 2015 reconnaissant les droits
des mineurs grévistes de 1948 et 1952 victimes de licenciements abusifs, pour «réparer l’injustice» qui leur a été faite, a-t-elle annoncé jeudi soir.
La garde des Sceaux s’est exprimée à l’Hôtel de ville de Paris après la projection du film «l’honneur des gueules noires» consacré à la grande
grève de 1948, en présence de quelques-uns des derniers survivants de cette histoire.
L’amendement déposé reconnaîtra le caractère discriminatoire et abusif du licenciement pour faits de grève subi par ces mineurs.
Il se traduira par le versement d’allocations réparatrices dont le montant sera fixé par l’agence nationale pour la garantie des droits
des mineurs (ANGDM). Quelque 31 mineurs et ayants droit pourraient bénéficier de cette mesure d’indemnisation, selon la Chancellerie.
Mais la garde des Sceaux entend également agir pour perpétuer la mémoire de ces évènements. Elle souhaite pour cela faire en sorte que
les programmes scolaires et de recherche en histoire et en sciences humaines accordent désormais aux grandes grèves de 1948 et 1952 la place
qu’elles méritent dans la mémoire des luttes.
La ministre entend enfin rétablir dans leurs distinctions et grades militaires tous les mineurs qui s’en étaient vu privés du fait de ces
évènements. «Le ministère de la Défense en a déjà identifié six, a précisé Mme Taubira.
A l’automne 1948, plusieurs milliers de mineurs des sites du Nord-Pas-de-Calais avaient cessé le travail pour protester contre des décrets qui
prévoyaient notamment la baisse de leur rémunération. Au terme de près de deux mois de grève, marqués par de très violents heurts avec les forces
de l’ordre, près de 3000 mineurs avaient été licenciés. Plusieurs centaines d’entre eux avaient été poursuivis en justice et condamnés, certains à
des peines de prison ferme. En mars 2011, la cour d’appel de Versailles avait reconnu le caractère discriminatoire et abusif du licenciement de
17 mineurs et employés de la société publique Charbonnages de France qui gérait les sites, et annulé ces licenciements. Elle avait condamné
Charbonnage de France et l’Agence nationale pour la garantie des droits des mineurs à leurs verser 30.000 € chacun.
Mais la décision avait été cassée en octobre 2012 par la Cour de cassation saisie par l’ancienne ministre de l’Economie Christine Lagarde.
« L’arrêt de la Cour d’appel de Versailles et l’amnistie du 4 août 1981 ont constitué des progrès dans la reconnaissance des droits de certains
d’entre eux. Mais je tiens à une réhabilitation complète, qui reconnaisse à la fois le préjudice matériel et moral enduré et qui apaise
les blessures », a justifié la garde des Sceaux dans un communiqué.
Voix du nord 24 octobre 2014