Le dernier puits ferme et 27 000 silicosés cherchent leur souffle de leur respiration sifflante. Vingt sept mille !
La population d’une ville comme Hénin-Beaumont est atteinte de silicose, cette maladie incurable, sournoise et évolutive. La vraie catastrophe minière
c’est elle. Elle ne fait pas de bruit mais tue bien plus que le grisou. Environ 1500 mineurs silicosés meurent chaque année dont la moitié directement
de leur maladie professionnelle, la plus répandue dans le monde.
« Nous avons une dette vis-à-vis de tous ces mineurs. Et on est souvent pas très reconnaissants. » Ainsi parlait le Dr Delepoulle qui est médecin à
Laennec, au service de pathologie thoracique du Centre Hospitalier de Lens. Son service accueille 30% de silicosés.
Ils y viennent au cours de séjours plus ou moins longs, pour soigner une des principales complications de cette maladie. Il y en a surtout trois :
-la tuberculose qui se soigne très bien de nos jours,
-le pneumothorax qui est la rupture brutale d’un poumon, un accident grave mais que l’on rencontre quotidiennement dans ce service. Il est très anxiogène
car la personne a l’impression d’étouffer. On sauve néanmois les personnes qui en sont atteintes par geste chirurgical simple.
-la troisième complication est d’ordre cardiaque, le cœur ayant des défaillances en raison de l’insuffisance respiratoire.
L’oxigénation à domicile grâce à ADAIR, service mis en place par les Houillères, soulage beaucoup de patients. Certains doivent être branchés 12h voire 24h ,
précise le Dr Delepoulle.
Douze fois hospitalisé
Mr Sauvage, dès qu’il sortira de Laennec, pourra en bénéficier. Il est à la retraite depuis 1962. C’est cette année là, après 23 ans de fond, que l’on a
découvert, à la faveur d’un examen de routine, ses 25% de silicose (les taux s’échelonnent de 5% à 100%). Sa santé s’est brusquement dégradée il y a deux ans.
« J’ai été hospitalisé douze fois depuis 1988. Je reste parfois une semaine, parfois deux, parfois plus d’un mois. » Entre chaque phrase, Mr Sauvage marque une
pause, cherche son souffle. L’air trop rare siffle dans sa trachée. Il est essoufflé. « Pour faire les dix mètres qu’il y avait de ma maison à la voiture qui
m’a conduite ici j’ai du m’arrêter dix fois. Trop essouflé. »
C’est la présence dans les poumons de nodules qui signale la silicose , explique le Dr Delepoulle. Le moyen du diagnostic le plus répandu reste la radio
pulmonaire. Le poumon épure tout ce que l’on respire et quand il est débordé, il fabrique ces nodules. Elles vont continuer à évoluer en grossissant, en
s’amalgamant. Mais il arrive aussi que, pour des raisons inconnues, la maladie s’arrête d’évoluer.
Tout comme il arrive que certains mineurs travaillant au fond, parfois à des postes exposés comme l’abattage, le traçage, la
bowette se retrouvent sans silicose. Nous avons souvent dans ce service, des patients
qui souffrent d’empoussiérage. Ils ont les poumons empoussiérés mais pas de nodules. Ils ne peuvent donc pas être reconnus silicosés malgré des difficultés
respiratoires certaines.Pas de silicose reconnue, pas de pension ! Il a fallu beaucoup de luttes aux mineurs et à leurs représentants syndicaux pour faire
attribuer aux mineurs malades des pensions décentes.
La maladie professionnelle vaut 100%
Combien de médecins trainent encore de détestables réputations pour avoir constamment révisé à la baisse les taux de silicose ? Pourtant comme le disait
Ernest Schaffner , maire de Lens et pneumo phistiologue qui a consacré sa vie à la recherche jusqu’à en mourir,
« Savoir si la souffrance vaut 70, 80, 95 % est inhumain. L’inaptitude au travail pour maladie professionnelle vaut 100% ». Ça n’a hélas pas toujours été
le cas. « Autrefois, il fallait un taux bien élevé pour être sorti » commente le Dr Delepoulle.
La maladie est apparue au début du siècle dans les mines de diamants d’Afrique du sud. Dans le bassin, elle fit des ravages à la Libération avec l’arrivée des
marteaux piqueurs à air comprimé. La mécanisation en facilitant le travail des mineurs a accru énormément la poussière.
Cette poussière fine, quasi impalpable , chargée de silice, se dépose sur les poumons, qui, en se défendant, fabriquent ces nodules.
« Les années d’après guerre ont été terribles, raconte le Dr Delepoulle. On voyait mourir des hommes de 38, 40 ans. Aujourd’hui on constate un nombre de plus
en plus important de silicoses qui évoluent peu en raison de la prévention au fond avec l’injection profonde d’eau dans les années 65, du fait également que
l’on sorte enfin un peu plus tôt du fond les mineurs atteints, en raison des progrès de la médecine et d’une meilleure hygiène de vie des mineurs qui vivent
de plus en plus sans tabac ».
Et pourtant on en meurt toujours et dans des conditions très dures, par asphyxie.
Dans le bassin il n’y a pas un habitant qui n’ait un frère, un père, un oncle, un voisin, une connaissance atteint de silicose. Tous ont sous les yeux l’image
de ces grands colosses bien barraqués, essoufflés, cherchant leur souffle, plus capables alors que leurs muscles sont encore puissants, de jardiner, de
soulever un seau de charbon. Assis derrière une fenêtre ils observent la vie d’à côté du poële, inquiets du moindre coup de froid qui chez eux peut devenir
catastrophique.
Il y a dans le bassin 27 000 travailleurs qui auront perdu leur vie à la gagner
Article de La Voix du Nord du samedi 22 décembre 1990