LES ONZE ÉPOQUES CHARBONNIÈRES


photo Chevalement


L’historique exhaustif de l’aventure charbonnière du Nord Pas de Calais sera sûrement un jour fait. Beaucoup y auront, dès à présent, contribué. D’autres, peut-être encore plus nombreux, vont probablement s’y atteler. L’œuvre sera sûrement collective tant elle est vaste.
En attendant, et pour « caler » les idées, voici, en grande partie puisé dans la documentation d’archives des HBNPC, un survol de cette épopée, en dix étapes, auxquelles il faudra bien aujourd’hui, ajouter une onzième et ultime.

1720 Les origines


Depuis des décennies, à Mons et Charleroi, de l’autre frontière actuelle, des mine de « charbon de terre » sont prospères. De ce côté-ci, c’est la pénurie de bois de chauffage. En plein hiver, le 3 février 1720 le vicomte Jacques Desandrouin, Nicolas Desaubois et leurs associés, que suivront d’autres pionniers, découvrent, dans les bois de Fresnes, sur les bords de l’Escaut, en un emplacement que plus rien, aujourd’hui, ne signale à l’attention, une « veine » de quatre pieds d’épaisseur (1,20 m à 35 toises de profondeur (70 m) après avoir percé un puits de 2,50 m au carré. La légende de la Houille rapporte que ces précurseurs prédirent : « un jour viendra où, braves gens, vous ne mourrez plus de froid…Les voitures marcheront sans cheveaux et les vaisseaux sans voile… »
En tous cas, 1720 est le plus souvent admis comme l’année de la découverte du charbon dans notre département du Nord. L’exploitation par la Compagnie Desandrouin, commencera vraiment en 1736, après une confirmation rencontrée en 1734 à Anzin, où naquît la première compagnie houillère, celle d’Anzin, en 1757. Suvirent celles d’Aniche, Douchy et Vicoigne. « La première gaillette, affirmera Desendrouin, avait coûté 100.000 écus.

1810 L’impulsion décisive


En ce début du XIX ème, après des années d’incertitude, l’industrie houillère du Nord, ayant surmonté ses épreuves, a déjà une expérience d’un demi-siècle. L’Etat, qui a compris l’enjeu, la protège. En dix ans, la compagnie d’Anzin a mis au point la première machine d’extraction à vapeur. En 1810, le Gouvernement impérial institue « la propriété perpétuelle des concessions », qui ne sera remise en cause qu’en 1919. Il fallait la sécurité que confère la continuité, pour oser se doter des moyens énormes nécessaires à l’exploitation d’une mine. Après les aventuriers de la houille de l’époque révolutionnaire, financiers et ingénieurs de l’Empire prennent la suite.

1840 La richesse de l’Ouest


Le Nord n’en a plus pour longtemps à monopoliser la production houillère. Le Pas-de-Calais va , à son tour et à Oignies, révéler la richesse de son sous-sol. Et cette « conquête de l’Ouest » ne s’arrêtera qu’aux collines d’Artois. Un nouveau paysage urbain nait, qui draine des dizaines de milliers d’hommes de toutes origines. De 9000 ouvriers, dans les Compagies du Nord en 1840, on passe à 85.000 en 1900, pour le Bassin. Et on extrait déjà 20 millions de tonnes chaque année.

1918 A deux doigts de la mort


L’une des plus grandes conflagrations humaines de l’histoire a ravagé le Bassin, y laissant des plaies mortelles et une désolation indescriptible. C’est le désastre. 103 fosses sont sinistrées, inondées par un flot dont le débit équivaut à celui de la Seine à Paris. Des milliers de kilomètres de galeries sont inaccessibles. Un millard de francs-or de dégâts et, au mieux, 8 millions de tonnes produites , contre 27 à la déclaration de la Guerre.

1925 A plein rendement


Les installations ont retrouvé leur plénitude dès 1925 et en 1930, avec 35 millions de tonnes, production jamais égalée, le Nord Pas-de-Calais reprend sa place dans le peloton des grands bassins mondiaux. Avec l’électricité, l’outillage individuel et collectif s’est modernisé, poussant à la productivité. La demande s’accroît rapidement : matière première de carbo-chimie, combustible de centrales, gaz de carbonisation, coke pour les hauts fourneaux .
A la veille de la seconde guerre mondiale, certaines petites compagnies ont disparu ou ont été absorbées. Les compagnies ou sociétés houillères, qui exploitent le Basin, ont nom : Aniche, Anzin, Béthune, Bruay, Carvin, La Clarence, Courrières, Crespin-Nord, Douchy, Dourges, Escarpelle, Lens, Liévin, Ligny-les-Aire, Marles, Ostricourt, Vicoigne, Noeux et Drocourt .

1944 Une bataille économique,nationalisée


Un second cataclysme, de cinq ans, est passé sur le Bassin. Les derniers combats de la Libération sont à peine gagnés que, le 13 décembre 1944, une ordonnance crée les Houillères Nationales du Nord et du Pas-de-Calais « établissement public à caractère industriel et commercial… à qui incombe la responsabilité de gérer les exploitations de charbon de la région, dans l’intérêt exclusif de la nation ». 200.000 mineurs vont, ici, gagner la « bataille du charbon », déterminante pour le relèvement économique du pays. La productivité devient une compétition entre sièges.
On y verra des drapeaux flotter sur les chevalements et des champions de l’abattage recevoir des « trophées » : vélos, cochons. Immense mérite, sachant la pénébilité de ce travail, alors que le rationnement alimentaire est toujours en vigueur.

1950 Il faut moderniser


L’élan a été redonné, mais l’outil de production accuse son âge et son retard. La crise financière des années 30 n’avait pas permis aux compagnies d’investir. Le Commissariat au Plan met en place un programme de 20 ans pour rendre le Bassin plus compétitif. On va diminuer (114 à 40) le nombre de puits tout en maintenant la production (29 millions de tonnes), avec 97.000 mineurs de fond contre 135.000. Leur rendement, de 1947 à 1952, est passé de 860 à 1228 kg par jour.

1960 Mauvaise tournure


La modernisation a poursuivi son chemin, le rendement aussi : 1500 kg en 1960. Et pourtant, voilà qu’on suspend l’embauche et qu’au lieu de toujours produire plus, on découvre, effaré qu’il va falloir se limiter : instances européennes et coût de l’énergie obligent ! A l’Ouest, le gisement s’épuise, les stocks s’accumulent sur les carreaux. Les mineurs vont devoir reprendre le chemin de l’est… C’est l’histoire qui tourne à l’envers. En mars 1963, un immense mouvement social, reflet d’une grande inquiétude, étonne la France et annonce le vacillement de l’économie Houillère. Le bassin est désormais vulnérable.

1965 La rigueur impitoyable des lois économiques


Dans la compétition, le Bassin souffre de sa configuration. Il est handicapé par une exploitation considérée comme la plus difficile d’Europe. Il va falloir affronter les incontournables lois de l’économie moderne et de l’énergie à moindre coût. Le pétrole et le gaz sont d’impitoyables concurrents. On ne peut éviter d’envisager la fin de l’exploitation et, avec elle, toutes les conséquences. Entre le maintien à tout prix et l’arrêt rapide, c’est la solution médiane qui est retenue, intégrant les réalités techniques de l’exploitation, la loi des débouchés, et les nécessités sociales. On commence à parler de « reclassement » et un mot nouveau conversion, apparaît.

1980 Pilotage à vue


La « médecine » a produit l’effet espéré. En cinq ans, de 1969 à 1974, la production a diminué de moitié (19 à 9,2 millions). La conversion du personnel a été presque trop vite, l’effectif a fondu trop vite et, en 1973, il faut réambaucher pour ralentir cette chute de production. Le premier choc pétrolier pourrait être considéré comme providentiel pour la relance, avec un quadruplement du prix du pétrôle. Mais le coût de l’extraction, l’approfondissement d’un gisement tourmenté, l’incertitude des réserves exploitables et la raréfaction de la main d’œuvre font que la tendance, même ralentie, se maintient dans le sens de la récession.

1990 L’inéluctable


Dès janvier 1970 à Lens, le directeur général du Bassin entrevoit la fin de l’extraction pour 1983. Oignies est déjà cité comme ultime bastion. Le pronostic sera retardé de sept ans. Socialement, le retrait se sera accompli sans licencier, mais « l’après-charbon » commence avec la dernière gaillette de ce 21 décembre. Problèmes à la mesure de l’entité humaine et économique, engendrée par le charbon en 270 ans. Le charbon passe. Certaines choses demeurent…On en reparlera un bon bout de temps encore.


Article de la Voix du Nord du samedi 22 décembre 1990